Emprunter 100 000 € en 3 clics : comprendre les Marchés de Prêts Décentralisés en 5 minutes

Alexandre Kahn
6 min readDec 15, 2021

--

Cet article cible un public ayant déjà des notions en finance et en cryptomonnaie.

En finance traditionnelle, les marchés de prêts sont généralement la chasse gardée des banques commerciales. Elles jouent un rôle d’intermédiaire entre les agents en capacité de financement et ceux en demande de financement. En contrepartie, elles récupèrent un taux d’intérêt.

Les marchés de prêts en cryptomonnaies ont des caractéristiques spécifiques liées à l’architecture décentralisée de la blockchain. En effet, les prêteurs et emprunteurs sont anonymes et échangent sans agent intermédiaire. Ces caractéristiques sont donc :

  • Un gain économique pour l’emprunteur et le prêteur par la quasi-absence de frais d’intermédiation
  • L’absence de « Credit score » permettant de juger la capacité de remboursement de l’emprunteur
  • L’impossibilité d’entrer en phase contentieuse de recouvrement avec un intermédiaire judiciaire

Nous verrons quel intérêt il existe à utiliser les marchés de prêts décentralisés et comment ces protocoles fonctionnent.

Nous utiliserons la plateforme Solend pour illustrer nos propos.

1/ Pourquoi utiliser les marchés de prêts décentralisés ?

1.1/ Le prêteur

Un prêteur est un agent qui place des actifs en collatéral. L’intérêt principal est la recherche de rendements défini par le Supply APY (rendement annualisé).

Par exemple, si je dépose du Solana en collatéral, j’obtiendrai 5,13% d‘APY.

Les prêts sont totalement liquides. Je peux ajouter ou retirer des fonds aussi librement que je le souhaite. Il existe cependant une limite totale de dépôt pour chaque token.

1.2/ L’emprunteur

Un emprunteur est un agent qui place des actifs en collatéral pour emprunter d’autres actifs (un emprunteur est par définition aussi un prêteur). Il peut mettre en place plusieurs stratégies :

  • Se surexposer par effet de levier : je dépose 100$ de SOL en collatéral, j’emprunte 50$ de SOL. Mon exposition est désormais de 150$ avec un fond initial de 100$, soit un effet de levier de 1,5.
  • Générer du rendement à partir d’actifs « non stakables » : je dépose 100$ de SRM qui est un actif pour l’instant non stakable. J’obtiens un rendement par le dépôt du collatéral, de plus j’emprunte 50$ d’USDC que je stake sur des protocoles de finance décentralisée (DeFi).
  • Réaliser des arbitrages entre les marchés de prêt : j’emprunte 100$ d’USDT à un Borrow APY (coût annualisé de l’emprunt) de 5% que je dépose en collatéral sur un autre marché de prêt où le Supply APY est de 6%, soit un gain « risk-free » de 1%.

Les emprunts sont totalement liquides. Je peux accroître mes emprunts et les rembourser partiellement ou entièrement à tout moment. Il n’y a pas de date limite de remboursement.

2/ Comment fonctionne le protocole ?

Dashboard d’un utilisateur de Solend (Source: Gitbook)

2.1/ Le collatéral et la limite d’emprunt

Le montant de collatéral (Supply balance) est la somme des tokens déposés en tant que prêteur.

La Supply balance permet de définir la limite d’emprunt (Borrow limit). Cette limite est fixée par la Loan To Value (LTV) qui définit le ratio maximum d’emprunt pour chaque token.

Par exemple, si je dépose 100$ de SOL à 70% de LTV et 100$ de SRM à 60% de LTV, alors on a :

Borrow limit = 100*0,7+100*0,6 = 130$

Le ratio de LTV est variable et défini par le protocole. En général, il dépend du niveau de risque du token. Plus il est considéré risqué, plus la LTV est faible.

2.2/ Le seuil de liquidation

Le seuil de liquidation est fixé par le Liquidation Threshold Ratio (LTR) qui définit le ratio de liquidation pour chaque token. Par exemple, sur Solend, le LTR correspond au LTV + 5%, donc avec un LTV de 130$, le seuil de liquidation est fixé à 136,5$. Chaque protocole définit quel pourcentage du prêt est liquidé quand le LTR est atteint. Il est de 50% sur Solend.

En plus de la liquidation, l’emprunteur subit un malus de liquidation, qui correspond à un certain pourcentage du LTR.

Si le seuil de liquidation est atteint, une part des positions en collatéral est liquidée de manière à rembourser une partie du prêt, soit :

NewSupplyBalance = SupplyBalance*(1-LTR*(1-x)*(1+y))

Par exemple, avec une liquidation de 50% du collatéral avec un LTR à 70% et un malus de liquidation de 10%, on a :

NewSupplyBalance = SupplyBalance*(1–0,7*(1–0,5)*(1+0,1)) = SupplyBalance*(1-0,385)

L’emprunteur perd donc 38,5% de sa Supply balance.

La part de la Supply balance perdue est rachetée par un liquidateur à un prix inférieur. Il existe différents mécanismes de rachat selon les protocoles. (Voir cet excellent article pour aller plus loin)

2.3/ Calcul et paiement des Supply APY et Borrow APY

Pour chaque token, le Supply APY et le Borrow APY sont liés. Ils dépendent du taux d’utilisation, soit le ratio entre le volume prêté et le volume emprunté. Ainsi, plus un token est emprunté, plus son Borrow APY augmente.

Certains protocoles utilisent le taux d’APY moyen sur l’ensemble des marchés de prêts. Cela permet de limiter les stratégies d’arbitrage et rend le marché globalement plus efficient.

(Pour aller plus loin, voir les méthodes de calcul de Solend et Aave)

L’APY est intégré directement dans la balance de l’utilisateur. Par exemple, si je prête 1000$ d’USDC à 5% alors ma Supply balance sera de 1050$ en fin d’année.

3/ Autres éléments pertinents

3.1/ Les risques

Les marchés de prêts décentralisés proposent des APY élevés car ils intègrent un double risque lié à celui des marchés de prêts et celui de la finance décentralisée. Les principaux risques sont :

  • Le risque de liquidation
  • Le risque d’attaque sur le Smart contract ou l’Oracle
  • Le risque d’attaque de gouvernance pour les protocoles en DAO
  • Le risque « custodial » pour les protocoles imparfaitement décentralisés
  • Le risque de faille technique de l’Oracle
  • Le risque procédural comme la perte de l’accès au wallet

3.2/ Les Tokenomics de la plateforme

En général, les plateformes de prêts proposent un token de gouvernance, source de valeur ajoutée pour l’utilisateur.

D’une part, il est utilisable comme droit de vote pour participer à la gouvernance de la DAO. D’autre part, il crée des incitations économiques car sa distribution permet d’accroître le Supply APY et diminuer le Borrow APY.

Reprenons exemple sur le SOL :

Pour le Supply APY, le taux de 5,21% est composé en réalité à 3,01% de SOL et 2,20% de SLND, le token de Solend.

Pour le Borrow APY, le taux est en réalité de 6,72% en SOL et 4,90% en SLND, soit un coût réel de 1,82%.

Il faut donc toujours tenir compte de la composition réelle de l’APY. De plus, le SLND est un token beaucoup plus volatile que le SOL, c’est donc un risque à intégrer quand on prête ou on emprunte.

Enfin, le protocole applique des frais lorsqu’un emprunt est effectué. Sur Solend, les frais sont de 0,1% et servent à financer un fond d’assurance. Ce fond est conçu pour rembourser une part des actifs perdus en cas d’attaque ou de faille dans le protocole.

Conclusion

Ces marchés de prêts permettent de comprendre la pertinence de la finance décentralisée, en démontrant qu’il est possible de réaliser des opérations financières sans intermédiaire parasite.

Ces marchés de prêts n’en sont qu’à leur début et de nombreuses innovations voient le jour dans ce secteur.

Par exemple, l’émergence de l’identité décentralisée permettra de lier une identité à un wallet, lui même lié à un Credit score. On peut alors accroître la LTV de l’emprunteur qui a démontré sa capacité à rembourser des emprunts par le passé.

Une autre innovation clé est l’émergence de la tokenisation des Actifs du Monde Réel (AMR). Demain, il sera possible de créer un NFT d’un bien immobilier dont on est propriétaire pour le mettre en collatéral, à la manière d’une hypothèque. (Cet enjeu sera le sujet d’un prochain article)

Disclaimer : Aucun contenu dans cet article n’est un conseil en investissement ou une incitation à investir. L’auteur de l’article n’a pas de partenariat avec les projets présentés.

--

--

Alexandre Kahn
Alexandre Kahn

Written by Alexandre Kahn

Blockchain Analyst & Project Manager | Specialist in Digital Economy | Crypto Investor

No responses yet